Sur l’occupation de l’école Pajol – janvier 2016

L’exception – mais de quelle règle ?

Suite à l’occupation de l’école polyvalente Pajol, 15-20 janvier 2016, en soutien à M Gao, menacé d’expulsion du territoire.

Il y a eu là quelque chose d’exceptionnel. On l’a dit, on se l’est dit, étonnés, émus. Et on l’a senti, surtout, cette possibilité de repousser les murs un brin, de prendre un peu d’espace… Et pas n’importe quel espace. Ça aussi, on nous l’a dit, et on l’a senti. L’espace préservé de l’école : « C’est grave, vous savez, ce que vous faites. Il est encore temps d’arrêter, vous savez, de quitter les lieux et les laisser à celles et à ceux habilités à former la conscience fragile de vos enfants… » C’était l’Inspecteur de l’Académie, le premier après-midi de l’occupation. « Il n’y a rien de plus fragile que la conscience d’un enfant, vous savez » a-t-il ajouté, l’Inspecteur de l’Académie… Aucun de nous n’a douté de la gravité de l’action, de sa grave nécessité, et de sa joyeuse possibilité. De la fragilité de nos enfants, moins. Ils ont été à nos côtés et nous aux leurs pendant toute cette parenthèse que nous avons ouverte ensemble dans l’ordinaire trop gris, trop frileux de ce mois de janvier 2016, au retour des vacances avec le sentiment des horizons qui se ferment comme nos frontières, et nos idées…

C’est grave, une occupation d’école, et drôle aussi. Enfreindre les règles, faire du café dans la salle des maîtres, laisser les enfants jouer à cache-cache, s’asseoir dans le fauteuil de la Directrice pour répondre à son téléphone en disant: « je suis désolée, non, l’école est occupée par les parents, oui, en soutien à un père d’élève menacé d’expulsion immédiate, oui, menacé de se trouver à plus de 5000 bornes de sa petite fille et sa femme, du jour au lendemain et sans ressources… » Se demander jusqu’où on va aller, se mettre autour de la table pour en débattre. Prendre le temps, qui est le nôtre malgré tout ce qui l’accapare, en prenant l’espace, qui est également le nôtre, à nous tous, sans exception.

La décision de libérer M Gao était également exceptionnelle. « Pour des raisons humanitaires », a dit la source policière. La décision discrétionnaire du Préfet était le seul espoir de M Gao après son retour en rétention quand le Parquet a gagné en appel contre le Juge des libertés. Pour le philosophe italien Giorgio Agamben, l’objet de la souveraineté de l’Etat, celui par lequel il exerce son pouvoir, n’est pas le citoyen, doté de droits, mais bien le réfugié, ou le sans-papiers, dont il peut décider de faire une exception, ou non. L’exception qui confirme la règle de son pouvoir exceptionnel, discrétionnaire si l’on préfère, c’est-à-dire illimité. Nous ne le ressentons que trop souvent ces jours-ci, ce pouvoir exceptionnel, cet Etat d’exception. C’est pourquoi il nous a fallu nous octroyer le droit de faire exception à la loi, parce que nous ne saurons admettre que cette possibilité-là soit la prérogative de l’Etat seul.